Par Dr. Gad Amar
Les faits:
Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, dans un quartier populaire de Paris, Sarah Halimi, 65 ans, médecin de formation et directrice d’une crèche juive à la retraite, est attaquée par son voisin, Kobili Traoré, qui s’introduit chez elle par le balcon et la roue de coups pendant 35 à 40 minutes aux cris d’Allah Akbar, récitant des sourates du Coran et la traitant de « Sheitan » (Satan), avant de la jeter vivante par la fenêtre du 3eme étage. Elle meurt sur le trottoir de ses multiples traumatismes.

La veille, Traoré se rend à 5 reprises à la mosquée Omar, une mosquée salafiste voisine. Il la quitte à 22 heures, dîne au restaurant et va dormir chez un ami, dans l’immeuble mitoyen de celui où il réside chez ses parents et où vit aussi Sarah Halimi.
Il se lève à quatre heures du matin, monte pieds nus au 3° étage avec son tapis de prières, sonne chez des amis de sa famille, les Diarra, qui le laissent entrer, ferme la porte à clé, met les clés dans sa poche et crie « ça va être la mort, ça va être la mort ». Le matin, il avait dit à ses parents « J’ai tout raté dans ma vie, ce soir tout sera terminé ». Devant son état d’excitation, les Diarra s’enferment dans une pièce de leur appartement et appellent la police, comme le feront d’autres voisins réveillés par les cris. Traoré fait ses ablutions à la cuisine, récite quelques prières et va sur le balcon dont il enjambe la balustrade pour entrer chez Sarah Halimi qui dort dans son lit. Il prétendra être devenu fou en découvrant chez elle un chandelier à sept branches (les menorot en ont 9…) et des livres de judaïsme.
Les policiers arrivent rapidement, ils sont neuf, ils sont armés, mais n’interviennent pas.
L’assassin, âgé de 27 ans, d’origine malienne, est un toxicomane baraqué d’1m90 qui deale dans le quartier depuis des années. Il a déjà été condamné à 22 reprises pour trafic et usage de stupéfiants, outrage et rébellion. Il a à son actif une cinquantaine de gardes à vue et a fait 2 ans de prison en tout par périodes de 3 et 6 mois (selon William Attal, frère de Sarah Halimi, qui rapporte des éléments du dossier).
Après son forfait le meurtrier retourne chez ses amis maliens. Il est calme et récite son Coran. Il est interpellé à 5heures35 par la police. Arrivé au commissariat, il se rebelle contre les policiers (au moment de la prise de sang ?) et il faudra huit hommes pour le maîtriser. Il en blesse deux. Le médecin juge son état psychiatrique incompatible avec la garde à vue et le fait interner en hôpital psychiatrique sans qu’il ait été entendu une seule fois par la police.

Pendant des jours, seuls les médias communautaires font état de l’assassinat de Sarah Halimi. On n’en parle pas dans les medias français. La France est en pleine campagne présidentielle ; François Hollande est le Président (socialiste) sortant jusqu’au 14 mai 2017, Jean-Jacques Urvoas son ministre de la Justice jusqu’au 10 mai 2017. Une médiatisation de ce nouvel assassinat par un islamiste fanatisé risquerait-elle d’apporter des voix à l’extrême droite ?
Le 7 avril le Procureur de la République François Molins déclare qu’en l’état de l’enquête, il n’apparaît pas qu’il s’agisse d’un acte antisémite, mais que cette hypothèse reste à examiner.
Les expertises :
La juge instructrice Anne Ihuellou demandera trois expertises psychiatriques, fondées sur des éléments glanés auprès du criminel, de sa famille et de la famille Diarra. L’enquête ne sera pas élargie à l’entourage moins proche de l’accusé, malgré les demandes des avocats.
La première expertise, confiée au Dr Zagury (psychiatre d’origine juive) conclut à une bouffée délirante aigue, mais sans abolition du discernement. Le parquet demande à la juge de requalifier le meurtre en acte antisémite.
La seconde, demandée à un collège de trois experts (dont le Dr Bensussan, d’origine juive) conclut à une bouffée délirante avec abolition du discernement : cela implique l’irresponsabilité pénale du criminel.
Face à ces deux expertises contradictoires, les avocats de la victime demandent une troisième expertise, dont les conclusions extrêmement nuancées laissent planer le doute sur l’origine de l’abolition du discernement : « la bouffée délirante aigue (en l’occurrence exotoxique) et la motivation délirante de l’acte sont deux critères qui font discuter l’abolition du discernement, dans la mesure où l’on considère que cet état émerge en dehors de toute volonté du sujet » (arrêt du 19 décembre 2019).
En d’autres termes, cette troisième expertise pose deux questions : si l’abolition du discernement est une conséquence de la bouffée délirante provoquée par une consommation volontaire de cannabis, peut-on la considérer comme un état pathologique indépendant du sujet ? La motivation antisémite, cultivée par Traoré et qui déjà faisait trembler Sarah Halimi à chaque fois qu’elle le croisait, n’est-elle pas une volonté réfléchie du sujet qui trouve dans le crime son aboutissement ?
Le 17 juillet 2019, le Parquet de Paris demande le renvoi aux assises du meurtrier pour crime antisémite. Les juges d’instruction au contraire disent qu’il faut retenir l’irresponsabilité pénale.
Le 27 novembre 2019, le débat est ouvert en audience publique devant la chambre d’instruction sur la responsabilité pénale du meurtrier.

Les jugements :
Le 19 décembre 2019, la Cour d’Appel de Paris reconnaît la circonstance aggravante du crime antisémite commis par Traoré, mais conclut à l’irresponsabilité pénale du meurtrier, au motif qu’« aucun élément du dossier d’information n’indique que la consommation de cannabis par l’intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une bouffée délirante aigue »
Le 14 avril 2021, la Cour de Cassation confirme ce premier jugement. Tout en reconnaissant le caractère antisémite du crime, elle confirme l’irresponsabilité pénale du meurtrier.
Les protestations des avocats et de la famille
Les insuffisances de l’enquête sont soulignées par les avocats : pas de reconstitution des faits sur les lieux du crime, pas d’examen du portable de l’assassin qui aurait pu révéler son antisémitisme ou la préméditation, aucune confrontation. Les policiers présents pendant le drame et qui ne sont pas intervenus n’ont pas été auditionnés. Et il n’y a eu ni auditions ni perquisition dans la mosquée salafiste fréquentée assidûment par le criminel.
Sur son compte Facebook, Traoré s’est choisi le nom de « Boubaker Fofana ». Fofana, c’est le nom du meurtrier d’Ilan Halimi en 2006. Un deuxième Fofana annonce-t-il le massacre une deuxième Halimi ?

Le meurtrier, qui séjourne depuis 4 ans en psychiatrie, ne suit plus de traitement depuis 18 mois et attend sa libération d’un feu vert du préfet. Pourtant, le second collège d’experts avait affirmé que le meurtrier entamait une schizophrénie. Elle n’a pas été confirmée depuis. Le cas aurait dû être réexaminé de sorte à écarter la maladie et ainsi pouvoir retenir uniquement la bouffée délirante secondaire à la prise de cannabis et au fanatisme islamiste.

Les conclusions contradictoires des psychiatres sur l’abolition du discernement du criminel permettaient aux juges d’exercer leur liberté d’appréciation pour prononcer leur jugement. Ils ne l’ont pas fait.
Pour éclairer toutes ces zones d’ombre, la magistrate en retraite Danielle Khayat suggérait il y a plus d’un an la création d’une enquête parlementaire (Mabatim, 13.1.2020). Sa proposition n’a pas encore été retenue.
Les réactions de l’opinion publique :
Nombreuses ont été les réactions indignées de la population juive de France, de ses représentants, de plusieurs hommes politiques dont le Président français Emmanuel Macron, de journalistes, penseurs et hommes de lettres. La consommation de drogue, considérée jusqu’ici par la loi comme un facteur aggravant, devient tout d’un coup une échappatoire. Le Président Macron demande à réécrire la loi sur laquelle les juges se sont fondés qui permet au meurtrier d’éviter le procès devant une cour d’assises et de ressortir libre dès que les esprits se seront calmés. Libre surtout de récidiver grâce à cette nouvelle jurisprudence « cannabis » et sans que justice ne soit rendue à la victime.

Dans le Journal LA CROIX (21 avril 2021), Dominique Durand, Président de l’Amitié Judéo-chrétienne de France, écrit : « L’antisémitisme est une bouffée délirante aigue qui dure depuis des siècles et qui n’a jamais cessé de se renouveler au cours du temps ».
Effectivement, en France, l’irresponsabilité pénale est reconnue dans 15% des cas lorsque la victime est juive, dans 1% lorsqu’elle ne l’est pas (Maître Marc Sztulman dans La Règle du Jeu, 22 avril 2021).
Le dimanche 25 avril 2012, des manifestations de protestation ont réuni 26000 personnes à Paris, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nice, Strasbourg et Toulouse. Et à Tel-Aviv, New-York, Los-Angeles, Miami, Londres, Rome, les manifestants se sont rassemblés pour réclamer justice pour Sarah Halimi. La maire de Paris a annoncé vouloir donner le nom d’une rue à Sarah Halimi.

Une déroute judiciaire
1. L’instruction de l’affaire souffre de nombreuses lacunes. La préméditation a été écartée d’emblée, qui aurait orienté l’affaire, y compris les expertises, dans une tout autre direction.
L’antisémitisme de Traoré, de sa famille et de ses fréquentations a été sous-estimé. Ce n’est pas le cannabis qui est antisémite et lui attribuer l’origine du crime antisémite commis est une duperie, voire un déni. Pour avoir été des millions de fois assassinés par des antisémites, les Juifs savent que la haine antisémite tue. Au vu des insuffisances de l’instruction il appartenait à la Cour de demander un complément d’enquête pour que soit établie la préméditation.
2. Sur les trois expertises, l’une penchait pour l’abolition du discernement, l’autre pour la non abolition et la troisième laissait planer le doute. La Cour d’Appel de Paris puis la Cour de Cassation ont retenu l’abolition du discernement. Manifestement, on a préféré enterrer l’affaire.
3. La Cour de Cassation admet les motivations antisémites du crime, mais considère que la bouffée délirante, seule en cause d’après elle, a pu être favorisée par la prise de cannabis.
En France, la loi dit pourtant que la possession ou la consommation de cannabis est strictement interdite. Le jugement qui exonère Traoré de tout procès fait ainsi de ce délit une circonstance exonérante, alors que dans toute autre situation, elle serait aggravante.
4. Mais disent les juges, rien ne prouve que le meurtrier ait su que la prise de cannabis le mettrait dans l’état où son discernement serait aboli. Le procureur Molins réagissant au choc dans l’opinion du jugement de la Cour de Cassation, s’insurge : « Toute personne qui consomme de l’alcool ou du cannabis n’a pas une bouffée délirante et ne voit pas son discernement aboli » (Le Figaro, 24.4.2021).
En effet, le déroulé de la nuit du crime semble refléter au contraire toute la logique, la réflexion, l’organisation et la détermination de l’assassin pour massacrer une voisine qu’il détestait parce qu’elle était juive. Un antisémitisme cultivé au sein de sa famille et nourri par sa proximité avec une mosquée salafiste.

La notion d’« abolition du discernement » doit aussi être discutée : un chauffard qui écrase un enfant après avoir consommé du cannabis est jugé responsable avec circonstance aggravante, un assassin drogué qui massacre une vieille dame ne l’est pas ?
5. Les juges se réfèrent à l’article 122-1 du code pénal français qui ne distingue pas selon leur origine les troubles psychiques conduisant à l’abolition du discernement. A l’émoi suscité par l’affaire Sarah Halimi autant que par celle de Viry-le-Chatillon où des policiers avaient été brûlés par des « jeunes », le Conseil Supérieur de la Magistrature (25.4.2021) vient au secours des juges, rappelant « que le juge a pour mission d’appliquer la loi, et se doit, en matière pénale, de l’interpréter strictement ».
La loi considérerait que l’abolition du discernement, quelle qu’en soit la cause, maladie subie ou consommation choisie de stupéfiants, exonère de la faute ? Elle ne le précise pas et laisse ainsi la porte ouverte à l’interprétation.
A ce propos, un des avocats de la famille Halimi, Maître Gilles-William Goldnagel (le Figaro, 26.4.2021) rappelle que dans une affaire similaire à celle de Sarah Halimi – le coupable avait poignardé sa compagne sous l’emprise de la drogue, trois expertises avaient été ordonnées dont deux concluaient à l’abolition du discernement et il était reconnu souffrant d’« une fragilité psychique dans le registre de la persécution », le meurtrier avait aussi plaidé son irresponsabilité pénale au titre de l’article 122-1. La Cour considéra que la prise de drogue était « une circonstance aggravante », nonobstant l’article 122-1 (arrêt devant la Cour d’Appel de Versailles du 13 février 2018) et renvoya le prévenu devant la Cour d’Assises.
Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le Conseil Supérieur de la Magistrature, « la Cour Suprême a bien plus de latitude qu’elle ne le prétend » dans l’affaire de Sarah Halimi.
(Paule Gonzalès, Le Figaro, 26.4.2021).
6. Le refus de la justice française d’interpréter la loi en lui donnant un sens rationnel rappelle la rigidité des tribunaux islamistes qui appliquent la charia, à la différence près que les juges islamistes appliquent une loi qu’ils croient divine. Les juges français n’ont pas cette excuse.
7. En se rangeant à une lecture littérale de l’article 122-1, les juges ont manqué de courage. Un nouveau projet de loi sera bientôt déposé par le Garde des Sceaux, qui évitera dorénavant de tels égarements. Il s’appellera peut-être loi Sarah Halimi. Cette loi rappellera à tous que les juges de l’affaire Sarah Halimi ont absout d’avance un criminel fanatique et raciste.

A propos de l’auteur:

Dr. Gad Amar, Chirurgien retraité, hébraïsant et arabisant, auteur d’études juives en hébreu et en français .
Alors que la mission de Lay of the Land (LotL) est de fournir une perspective large et diversifiée des affaires en Israël, au Moyen-Orient et dans le monde juif, les opinions, les croyances et les points de vue exprimés par ses différents écrivains ne sont pas nécessairement ceux des propriétaires. et la gestion de LOTL mais des écrivains eux-mêmes. LotL s’efforce au mieux de sa capacité de créditer l’utilisation de toutes les photographies connues au photographe et / ou au propriétaire de ces photographies (0 & EO)